Action de grâce du Père Pierre Tressol

11 juillet 2020

C’est une grande joie pour moi de venir ici ce matin, 55 ans jour pour jour, depuis mon ordination sacerdotale. Je suis né dans le quartier du Jonquier, non loin de la caserne des gardes mobiles. Quand j’étais jeune, je venais souvent dans les parages puisque je menais nos deux chèvres sur les bords de l’Aygues. Enfant, j’ai entendu parler des bienheureuses martyres et surtout, je me suis imprégné du tableau de leur martyre qui est dans la cathédrale, ce tableau où le ciel et la terre s’unissent puisque les enfants du catéchisme étaient placés dans la chapelle où il se trouve. Dans ma vie, les bienheureuses m’ont fait signe. C’est la raison pour laquelle, quand j’ai été ordonné prêtre, j’ai tenu à venir, le jour de ma première messe à Orange, sur ces lieux pour remercier les bienheureuses martyres. C’est la raison pour laquelle je tiens à revenir ici aujourd’hui.

Quand j’ai lu l’évangile de ce jour, je l’ai lu un petit peu dans cette intention d’y trouver cette manne que Dieu nous donne pour cheminer vers la terre Promise ; il y a toujours quelque chose que Dieu veut nous montrer. Il faut toujours croire à cette manne. Car il y a toujours quelque chose que Dieu vous nous dire. Je l’ai lu dans cette intention-là : qu’est-ce que le Seigneur veux me dire à travers cette parole qu’Il nous donne. Aujourd’hui, j’ai retenu deux choses :

D’abord, Thomas signifie Didyme. Je me sens tout à fait Didyme avec Thomas. Didyme, c’était notre jumeau, c’était mon jumeau parce qu’il fallait qu’il touche pour croire… Et quand Jésus s’est manifesté à lui, cela a été l’émerveillement. Jamais, il n’aurait jamais pensé que Jésus se manifeste à lui dans sa résurrection. Il était tellement loin de penser que l’on pouvait ressusciter. C’était vraiment le miracle, le signe de la présence de Dieu. Je pense que sa contemplation et son cri : « Mon Seigneur et mon Dieu » sont vraiment l’expression du fond de son cœur. Quand nous sommes venus, avec le Père Rieu, sur la tombe des bienheureuses, j’ai dit cette même expression : « mon Seigneur et mon Dieu », vraiment c’est un miracle que je sois prêtre. C’est un miracle que j’ai pu célébrer cette première messe de mon sacerdoce ce matin !

J’ai fait un CAP de menuisier, je n’ai pas fait beaucoup d’études. C’est par la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) que j’ai cheminé et que j’ai découvert beaucoup de choses et surtout cette présence de Jésus dans nos vies. Je me sentais vraiment aux antipodes pour devenir prêtre. Ce n’était pas possible. Ce ne pouvait être qu’un miracle. Ce n’était pas réalisable. Alors, un jour, je me suis jeté un défi… car il y a eu une succession de miracles…

Avant mon régiment, j’avais vécu 6 mois de chômage et ma hantise, quand j’ai fini mon régiment, c’était de retourner au chômage. Et j’avais fait un vœu. J’avais dit au Seigneur : il faut que tu m’aides. Il faut que je travaille. Il faut que je sois comme tout le monde. J’ai dit au Seigneur à ce moment-là : Écoute, je te promets, je fais le vœu que si je trouve du travail, j’irai à la messe tous les dimanches. Et alors, j’ai trouvé du travail. Et ça marchait tellement bien que je me suis mis à travailler le dimanche !
Eh bien ! Les 15 jours qui ont suivi, nous avons été rappelé sous les drapeaux. Cela a été pour moi un signe du ciel : j’avais failli à mon vœu ! Ces 3 mois de rappel sous les drapeaux ont été difficiles, dans une ambiance pas possible. Alors j’ai repris mon vœu par les cornes et je l’ai tenu… jusqu’à un fameux 15 août. C’était un jour de semaine et moi, dans ma foi, le 15 août, c’est sacré. J’avais perdu ma mère 3 ans plus tôt et elle était née un15 août ! S’il y avait une messe à laquelle je voulais assister, c’était celle-là ! Mais je travaillais ce jour-là ! Je me suis informé des horaires de messe et s’il y en aurait une le soir. J’ai découvert que la messe du 15 août au soir était célébrée à Orange alors que je travaillais à Vaison-la-Romaine. Je me suis débrouillé pour venir à cette messe. J’étais tellement heureux d’avoir pu ‘célébrer’ cette messe et d’avoir tenu ferme mon vœu que je suis monté sur la colline Saint-Eutrope, là où il y a la statue de la Sainte Vierge qui domine la ville d’Orange. Et j’étais dans une joie extraordinaire : j’ai dit mon vieux, c’est cette joie là que tu dois vivre toute ta vie ! Il faudrait que cette joie soit partagée au plus de monde possible. C’est cela qu’il te faut et c’est là que je me suis dit : peut-être que je pourrais me faire prêtre ? Non ce n’est pas réalisable.

Mais si cela devait se produire alors ce serait un miracle. Alors je me suis dit que j’allais en parler. Je m’étais donné 6 mois avant d’en parler à qui que ce soit. Je me disais : si au mois de janvier tu penses toujours te fais ce prêtre tu pourras toujours en parler. J’arrivais à la fin du mois de janvier et c’est donc le 28 janvier que j’en ai parlé au Père Gleize : c’était le vicaire qui était à Vaison-la-Romaine. Au mois d’octobre, après cette expérience du 15 août, je m’étais mis à faire de la JOC. Je connaissais bien le père Pierre… mais il a fallu attendre le 28e jour du mois de janvier pour lui en parler. Et quand je lui en ai parlé, il m’a dit : « encore ! » Moi qui croyais être le loup blanc dans la bergerie ! Je lui dis pourquoi encore ? Parce qu’il y a un garçon de ton âge qui m’a fait la même confidence il y a 15 jours. C’était Lucien Rivaud.

J’ai vu ça un peu comme un signe du ciel : le Seigneur nous appelle et nous envoie deux par deux. Nous avions le même âge, la même expérience. Nous avons d’abord fait connaissance. On s’est mis à correspondre. Çà été une grâce formidable ! Je n’avais qu’un CAP de menuisier et j’étais avec des gens qui avaient ‘le bac et plus’ : pour entrer au séminaire, ce sera le miracle ! Je pensais toujours aux miracles.
Cette correspondance qui a duré tout le temps de notre séminaire : pour lui ça a été l’Algérie où il est resté 27 mois. Et pour moi, ça a été le sana : je t’ai mis à bachoter je ne dormais pas trop… j’ai fait 18 mois de sanatorium. Je me disais : mon vieux, c’est irréalisable. Si tu dis un jour ta première messe, ce sera un miracle ! Je me suis mis à penser au curé d’Ars qui disait : si le bon Dieu me veut il me donnera toujours les moyens d’arriver. C’est ça qui m’a tenu. J’ai terminé mon Sana et sur le moment c’était une catastrophe… mais ça s’est révélé parce que pendant mon temps de Sana, j’avais un professeur qui m’apprivoisait à la littérature, l’autre qui m’apprivoisait au latin… je suis rentré au séminaire en 60 ; et en 65, j’ai été ordonné prêtre.

Vraiment quand je suis arrivé à Gabet et j’ai dit : mon vieux, les bienheureuses, certainement elles ont été dans le coup. Je ne sais pas si vous avez pensé à la préface des Martyrs qui dit Jésus se manifeste dans la faiblesse de ces martyres qui vraiment sont dépassées devant cette échéance de la mort. Je me suis dit : pour elles, quand elles sont arrivées au ciel, elles ont dû dire : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » C’est un miracle ! Jamais j’aurais cru pouvoir venir ici.

Je me sens beaucoup en communion avec les bienheureuses martyres. Nous qui sommes faibles, nous qui ne sommes pas à la mesure de ce que Dieu nous demande, si on arrive à le réaliser, c’est bien parce que tu es derrière.

Je pense que même encore c’est le cas : j’ai toujours beaucoup d’appréhension à prêcher. Alors je me tourne vers la Sainte Vierge et je lui dis :

donne-moi la main, donne-moi les mots, car si tu ne m’aides pas pour délier ma langue ; donne-moi les idées les unes après les autres et pas en pagaille ! Alors ça marchera ! et ça marche !

C’est pourquoi, cette action de grâce : « mon Seigneur et mon Dieu » c’est un peu dans mes tripes. Je me sens vraiment le jumeau de Saint Thomas. Avec lui, j’ai envie de répéter – et je vous invite à le faire avec moi – « Mon Seigneur et mon Dieu » en disant : ce n’était pas réalisable et tu permets que ce soit possible ! c’est formidable, c’est formidable que nous fasse ce signe. Merci. Amen !