Bon Carême

6 mars 2019

Homélie pour le mercredi des Cendres 2019

Quelqu’un vous a t-il souhaité aujourd’hui : « Bon Carême ! » ou « Bonne entrée en Carême ! » ?
C’est vrai, on ne peut pas souhaiter « bon Carême » comme on lancerait un ordinaire « bonne journée » à ses enfants qui partent à l’école ? C’est trop sérieux, le Carême !
Ou plutôt, il nous embête bien ce Carême, ce moment où il faut enlever le masque et s’apercevoir que derrière le masque ou le maquillage, il n’y a qu’un petit tas de cendre. Il n’y a pas vraiment de quoi souhaiter quelque chose de bon ! Sauf si… par malice, on voulait justement s’assurer que notre interlocuteur n’aurait pas, lui, par hasard, oublié le Carême ! Mais si nous osons dire, avec bienveillance, « bon Carême » à ceux que nous rencontrons, que voulons-nous leur souhaiter au juste ?

Le voici maintenant le moment favorable, le voici le temps du changement et du dépouillement. C’est maintenant qu’il faut faire face à Dieu, faire face à soi-même, faire face aux autres et ne se dérober ni aux autres, ni à soi, ni à Dieu... et cela toujours plus, dans l’effort, semble-t-il, pour assurer notre conversion. La prière d’ouverture de cette messe va dans ce sens : Accorde-nous, Seigneur, de savoir commencer saintement par une journée de jeûne, notre entraînement au combat spirituel : que nos privations nous rendent plus forts pour lutter contre l’esprit du mal.

Voulons-nous vraiment nous souhaiter mutuellement un effort douloureux et pénible ? Si nous abordons le Carême comme un temps de pénitence – et il l’est – nous pouvons, dès le départ faire fausse route et endosser les obligations du jeûne, de la prière et de l’aumône avec beaucoup de générosité. Résignés, nous ferons des efforts… en espérant que le Seigneur nous accordera, au final, le diplôme d’un bon Carême 2019. Mais pris sous cet angle, nos efforts pourraient bien être intéressés : le jeûne me permettra de perdre du poids, l’aumône de me faire bien voir de mes proches ou d’obtenir la reconnaissance des pauvres, la prière de me reposer… surtout quand un proche me demandera de l’aide et que je lui répondrai : je ne peux pas, j’ai prière, c’est Carême ! N’est-ce pas là le brin d’hypocrisie que Jésus récuse dans l’évangile ? Mt 6, 1-18

L’origine et la raison première du Carême sont de nous préparer aux fêtes pascales. S’il s’agit d’entraînement au combat spirituel, oui, il s’agit bien d’un sport tant collectif qu’individuel… sous la conduite d’un entraineur qui s’appelle Jésus et qui nous dit : suivez-moi, en quarantaine, dans le jeûne et la prière. Le Carême est un temps favorable au sens où Dieu nous fait une faveur : vivre un temps de grâce où Jésus nous apprend à passer chaque jour des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie et finalement de ce monde à son Père.
Si nous avons rappelé que c’est maintenant le moment favorable, soyons complets et soulignons aussi :
le voici maintenant le jour du salut. Ce salut ne vient pas de l’homme mais de Dieu : Il ne s’agit pas tant du vouloir ni de l’effort humain, mais de Dieu qui fait miséricorde Rom 9, 16. C’est ce que nous rappelle la 2e lecture : au moment favorable je t’ai exaucé, au jour du salut je t’ai secouru. 2 Cor 6, 1

Abordons donc le Carême du côté de Dieu ! Demandons-Lui : « Seigneur, que veux-tu de moi ? comment veux-tu que je vive ce Carême ? Qu’est-ce qui te plairait que je change ? Montre-moi le chemin que je dois prendre ! »

La Bonne Nouvelle de ce Carême 2019, c’est que les bontés du Seigneur à notre égard ne sont pas épuisées (Lam 3, 22). Pour nous redire sa fidélité et nous permettre de resserrer le lien qui nous unit à lui, Dieu nous offre le Carême. Le but est de nous préparer au renouvellement de l’alliance et des promesses de notre baptême. Le Carême est un temps catéchuménal, non seulement parce qu’il prépare les candidats à recevoir le baptême mais aussi parce qu’il donne à ceux qui sont déjà baptisés de se préparer à la fête de Pâques où se renouvelle solennellement l’alliance.
Si Pâques correspond à un mariage (ou à l’anniversaire de mariage), vivons alors le Carême comme des fiançailles.
Que nous soyons pécheurs, cela saute aux yeux, à nos yeux personnels et aux yeux de nos proches ! Que nous ayons besoin de nous convertir ou de nous améliorer, c’est une évidence… mais l’argument majeur de notre entrée en Carême est cette demande du prophète Jérémie : Seigneur, n’humilie pas le trône de ta gloire ! Rappelle-toi : ne romps pas ton alliance avec nous ! Jér 14
Quel est ce trône de gloire ? Oui, c’est nous que le Seigneur veut renouveler et cajoler comme au premier jour. Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? 1 Cor 3, 16
Le Carême est donc le temps qui nous prépare au renouvellement d’alliance. Pour le comprendre, soulignons un détail de la première lecture : le prophète Joël nous invite à prescrire un jeûne sacré, à annoncer une fête solennelle : réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons ! Cela concerne toutes les générations !
Que le jeune époux sorte de sa maison, que la jeune mariée quitte sa chambre !
Cela concerne aussi ceux qui vivent leur lune de miel ! Mais pourquoi ? Ne pourrait-on pas les laisser tranquilles ? D’ailleurs, la loi de Moïse, dans le Deutéronome, dit que : Lorsqu’un homme sera nouvellement marié, il n’ira point à l’armée, et on ne lui imposera aucune charge ; il sera exempté par raison de famille pendant un an, et il réjouira la femme qu’il a prise. Deutéronome 24,5

Parce que le temps du Carême est une convocation de tous les hommes, vieillards et enfants, hommes et femmes, prêtres et laïcs, parce que le temps du Carême est une convocation au mystère des noces de l’Agneau, il est une raison valable pour faire sortir le jeune époux de sa maison et la jeune mariée de sa chambre. Pour un mystère nuptial plus grand ! un mystère qui concerne toute l’humanité et que nous annonçons : le mystère du salut ! C’est le mystère de l’union du Christ et de l’Eglise ! Cf. Ephésiens 5, 32

La sainte inquiétude du Christ nous anime : il n’est pas indifférent pour lui que tant de personnes vivent dans le désert. Et il y a de nombreuses formes de désert. Il y a le désert de la pauvreté, le désert de la faim et de la soif ; il y a le désert de l’abandon, de la solitude, de l’amour détruit. Il y a le désert de l’obscurité de Dieu, du vide des âmes sans aucune conscience de leur dignité ni du chemin de l’homme. Les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands. Benoit XVI, homélie pour la MESSE INAUGURALE de son PONTIFICAT 24 avril 2005
Ce constat étant fait, acceptons de rejoindre Jésus au désert et demandons lui de nous entraîner au combat spirituel :
Car le « carême » du Fils de Dieu a consisté à entrer dans le désert de la création pour qu’il redevienne le jardin de la communion avec Dieu, celui qui existait avant le péché originel (cf. Mc 1,12-13 ; Is 51,3). Puisse notre Carême reparcourir le même chemin pour porter aussi l’espérance du Christ à la création, afin qu’« elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, puisse connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (cf. Rm 8,21). Ne laissons pas passer en vain ce temps favorable ! Pape François, message pour le Carême 2019

Quelque chose pourrait encore nous freiner :
plus ou moins consciemment, nous avons peur que – si nous laissons entrer le Christ totalement en nous - il nous dépossède de fait d’une part de notre vie. Nous craignons de rater quelque chose des plaisirs et des joies de ce monde. Nous redoutons de nous trouver ensuite dans l’angoisse et privés de liberté.
Le pape Benoit XVI a déjà répondu à cela avec une affirmation que je souhaite reprendre aujourd’hui :
Non ! Celui qui fait entrer le Christ ne perd rien, rien – absolument rien de ce qui rend la vie libre, belle et grande. Non !
Dans cette amitié avec le Christ s’ouvrent tout grand les portes de la vie.
Dans cette amitié seulement se dévoilent réellement les grandes potentialités de la condition humaine.
Dans cette amitié seulement nous faisons l’expérience de ce qui est beau et de ce qui libère.
Ainsi, aujourd’hui, je voudrais, avec une grande force et une grande conviction, à partir d’une longue expérience de vie personnelle,
– c’est toujours Benoit XVI qui parle – vous dire, à vous les jeunes : n’ayez pas peur du Christ ! Il n’enlève rien et il donne tout. Celui qui se donne à lui reçoit le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout grand les portes au Christ – et vous trouverez la vraie vie. Amen. Benoit XVI, homélie du 24 avril 2005

Frères et sœurs bien aimés, pour inaugurer ce temps de fiançailles qu’est le Carême, épousons la prière du psaume que nous avons chanté, épousons le cri de pénitence du roi David après la reconnaissance de son adultère, épousons cette prière sur la longueur. Elle est appelante, donnons-lui notre consentement, l’acquiescement de notre âme, avec la grâce de Dieu.

Lave-moi tout entier de ma faute, purifie-moi de mon offense.

Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.

Rends-moi la joie d’être sauvé ; que l’esprit généreux me soutienne.

Frères et sœurs, je vous souhaite donc un bon Carême !