Le Christ est notre paix

19 novembre 2018

En voyant aujourd’hui dans cette église les drapeaux des associations patriotiques, nous sommes tout à la fois fiers des couleurs de notre nation et soucieux d’être artisans de paix. La semaine dernière, pour le centenaire de l’armistice de la 1re guerre mondiale, tout comme aujourd’hui où nous faisons mémoire dans notre prière de ceux qui sont tombés au champ d’honneur, nous n’oublions pas les héros qui ont donné la vie pour notre patrie. Nous prions aussi pour vous, et avec vous, militaires, gendarmes, policiers, préparés et prêts à faire l’usage de la force pour contenir les agressions de la violence physique, fruit de la folie des hommes, toujours prête à se réveiller… Le vieil adage romain est toujours d’actualité : Si vis pacem, para bellum. Si tu veux la paix, prépare la guerre.

La première lecture (Daniel 12, 1-3) de cette messe évoque «  un temps de détresse comme il n’y en a jamais eu depuis que les nations existent  », l’évangile (selon Saint Marc 13, 24-32) évoque des cataclysmes dans le ciel et sur la terre… et, dans les deux cas, la Parole de Dieu nous annonce la délivrance tout autant que la manifestation de ce qui habite le cœur de l’homme au dernier jour de l’humanité.

Dans son message pour la journée mondiale de la paix du 1er janvier 1973, le saint pape Paul VI soulignait qu’après deux guerres mondiales et les nombreux conflits contemporains, il fallait écouter «  la voix mystérieuse et formidable des soldats morts au champ d’honneur  »  ; il fallait entendre «  le gémissement douloureux qui monte des tombes innombrables des cimetières militaires et des monuments sacrés dédiés aux Soldats Inconnus  ». Cette supplication pour la paix a peu à peu imposé un regard nouveau sur la question des conflits et une pédagogie nouvelle et universelle, la pédagogie de la paix.

Dans la conscience de l’homme de la fin du XXe siècle, la paix a pénétré comme une nécessité logique et humaine. En ce début de XXIe siècle, nous sommes toujours dans cette perspective de construire la paix. Tout autant, nous entrevoyons que la paix laissée par nos aïeux et nos anciens est aujourd’hui très fragile.
Est-ce que les jeunes générations, guidées par l’affectivité et les passions à fleur de peau plus que par la volonté d’agir prudemment selon la raison et pour le bien commun, est-ce que les plus jeunes d’entre nous sauront encore construire la paix  ?

Pour avoir été aumônier de jeunes et aujourd’hui, comme curé d’Orange où de nombreux jeunes participent à la vie de la paroisse, je sais que la nouvelle génération en est capable… mais qu’elle ne construira la paix qu’au prix de nombreuses épreuves et sacrifices.

En effet, nous pouvons craindre que le climat de violence morale et spirituelle que nous connaissons ait raison de la paix dont nous jouissons. Nous vivons vraiment un temps de violence, un temps où la vie de tout homme est menacée, - surtout quand elle est vulnérable - tant au commencement avant même sa naissance qu’à la fin où sa vie est de plus en plus souvent abrégée…

L’homme contemporain est guidé par ses pulsions et ses passions plus que par sa raison prudente. Nos relations n’en sont que plus fragiles.

De plus, nous entendons chaque jour parler de guerre économique, de guerre électronique, d’utilisation de données informatiques… La personne humaine est-elle encore respectée comme telle  ? Ses droits fondamentaux et inaliénables sont-ils encore respectés  ?

Si les armes se sont tues, les conflits sont bien là. Il y a toujours une mainmise des forts sur les faibles. L’agressivité des hommes n’est pas éteinte.

La paix n’est donc pas seulement une absence de guerre armée. Non, la paix que nous inspire l’Evangile, c’est la paix du Christ. Lui-même est notre paix. (Eph 2, 14). En sa personne, il a tué la haine (Eph 2, 16). Jésus, en proclamant la Bonne Nouvelle du salut, débusque et révèle dans le cœur de l’homme la racine de l’amertume et de la violence : l’égoïsme qui habite notre cœur et notre âme. C’est l’attitude du «  moi d’abord  », l’attitude où je me prends comme mesure, comme norme de toutes choses. Il faut bien avoir un point de vue sur les choses et les personnes qui nous entourent, mais sans y prendre garde, l’antique conception de l’homme ne tarde pas à revenir : homo homini lupus  ; l’homme est un loup pour l’homme  !

La tentation permanente des nations et des hommes est aujourd’hui encore celle de la puissance, de l’orgueil et de la domination  ; c’est la tentation de vouloir s’emparer du monde comme s’il m’appartenait en propre, la tentation de vouloir mettre Dieu au service de ma puissance. Lorsque l’homme se gonfle lui-même au point d’annexer Dieu pour le réduire à ses propres intérêts, il en arrive à défigurer Dieu de la manière la plus terrible et même à faire la guerre au nom de Dieu. En revanche, lorsque l’homme se tourne vers Dieu pour prier pour la paix, pour la justice, pour le pardon, il ouvre son cœur à la puissance de salut qui vient du Seigneur.

Comme une libération, Jésus nous apprend qu’il n’y a pas de paix sans justice qu’il n’y a pas de justice sans paix, qu’il n’y a pas de paix et de justice sans pardon. Le pardon n’est pas une faiblesse, il est une force. Il ne s’oppose en rien à la justice  ; parce qu’il s’oppose à la rancune et à la vengeance, le pardon freine et stoppe le cercle infernal de la haine et de l’égoïsme. Lui-même, une bonne fois pour toutes, a pris sur Lui le mal, il a offert le sacrifice de sa vie pour les péchés des hommes. Il a cloué sur le bois de la croix le billet de la dette qui nous condamnait. Par sa vie, par sa mort et par sa Résurrection, Jésus a tué la haine. Au soir de Pâques, il salue ses disciples (Jean 20, 19) en leur disant : «  la paix soit avec vous  ». Avant la communion, nous rappellerons la parole de Jésus (Jean 14, 27) : «  je vous laisse la paix, je vous donne ma paix…  » A la fin de cette messe, nous serons envoyés dans la paix.

Chrétiens, pour être artisans de paix, nous voulons d’abord être apprentis de la paix. Nous ne nous contentons pas de prier pour la paix et nous voulons y travailler. Jésus nous montre un chemin, celui de l’amour, celui de la fraternité : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Forts de l’amour de Jésus, la paix vient du cœur pour rejoindre le cœur du frère.

Un soir de l’hiver 334, lors qu’il n’a que 18 ans et qu’il chemine vers le baptême, Martin, fils de vétéran de l’armée romaine, assure – dans ses fonctions de sous-officier circitor la ronde de nuit et l’inspection des postes de garde de la garnison d’Amiens. Sur son chemin, il rencontre un pauvre transi de froid et qui lui demandait l’aumône. Il lui donne la moitié de son manteau. La nuit suivante le Christ lui apparaît en songe vêtu de ce même pan de manteau. Le geste que Martin accomplit nous apprend que charité, justice et paix marchent d’un même pas.

En cette Journée mondiale des pauvres, voulue par le pape François il y a deux ans, il ne s’agit pas tant de lever des fonds pour les œuvres de charité ou de solidarité que de rejoindre le cœur du frère. Faire l’aumône, ce n’est pas se délester de quelques pièces ou billets  ; faire l’aumône, c’est rejoindre l’autre en tant que personne, dans sa vulnérabilité, non pas pour le juger ou l’enfoncer mais pour l’aimer et le relever par notre bienveillance.

Nous sommes ici au cœur d’un combat spirituel. Chrétiens, nous proclamons que le mal n’a pas le dernier mot, car Jésus en est déjà vainqueur. Par son unique offrande, il a mené pour toujours à leur perfection ceux qu’il sanctifie. Une fois pour toutes… la mort du Christ est à la fois le passage que Jésus a ouvert pour nous et la réconciliation avec Dieu avec qui nous sommes désormais en communion. Cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique n°613

Frères et sœurs, la Parole de Dieu, à travers le psaume (15) qui a été chanté, évoque aussi la joie et la dilatation du cœur : «  mon cœur exulte, mon âme est en fête  ». Ce psaume est celui de la Résurrection, celui de la victoire de la vie sur la mort. Attachons-nous à Jésus, prenons sa main par la foi, laissons-nous entraîner par Lui. Avec lui qui a connu la mort et la mise au tombeau, redisons : «  tu ne peux m’abandonner à la mort, ni laisser ton ami voir la corruption. Tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face, débordement de joie, à ta droite, éternité de délices.  »

Frères et Sœurs, après Saint Martin, nous évoquons aussi ce matin Saint Cécile, la patronne des musiciens. Merci à l’harmonie d’Orange d’exprimer par le langage de la musique, la joie et l’espérance qui habitent nos cœurs parce que nous professons que Jésus est vainqueur, que le Christ est notre paix. La musique nous rejoint plus par intuition que par démonstration. Une mélodie se joue plus qu’elle ne s’explique… Jouer une mélodie et l’écouter, c’est accueillir un message. Frères et sœurs, si mes paroles ont été longues et compliquées, accueillez le message de paix que le Seigneur vous dit à travers la musique que nous entendons.

Père Michel BERGER, curé