La solitude, épreuve de vérité

22 janvier 2021

« Ne sentons-nous pas le souffle du vide sur notre face ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne vient-il pas des nuits, de plus en plus de nuits ? » A cette question de Nietzsche sur la solitude répond celle du psalmiste : « Quand je vois le ciel, ouvrage de tes doigts, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui ? » La solitude ne serait-elle pas provocation à la rencontre de l’autre ?

La grande misère de l’Occident, c’est la solitude. Elle est imposante la litanie des solitudes qui viennent allonger de nos jours la triade biblique : l’étranger, la veuve et l’orphelin. Le drame, c’est la désunion, la perte des liens qui renvoie chacun à l’anonymat de la foule solitaire.

Le salut, c’est la communion à l’image de la Trinité où chacun est tourné vers l’autre.

Chacun est un monde, une histoire, un univers. Comment, dans la rencontre, deux sphères si différentes, si irréductibles sont-elles capables de communiquer ? Cela doit être l’objet d’un étonnement permanent. Il faut que mon histoire ait quelque consistance, que mon identité soit quelque peu affirmée, pour que l’autre rencontre en moi, un mystère, une altérité, un pays nouveau, qui ne soit pas seulement le pâle miroir de son imaginaire.

Dans la rencontre, la solitude assumée pourra donc être expérience spirituelle. Elle pourra être épreuve du vide à partir duquel l’existence surgit, chance d’une relation plus libre au réel, à autrui, à Dieu.

« Si je suis vide de tout, c’est afin de pouvoir mieux vous attendre », dit un personnage de Paul Claudel. Telle est l’expérience de la pauvreté et nudité d’esprit reconnue par St Jean de la Croix comme condition de la rencontre avec Dieu, ce qui vaut aussi, finalement, pour toute rencontre véritable d’autrui. Ainsi comprise, la solitude est amplitude, vide appelant la plénitude. Elle n’est pas complaisance dans l’isolement mais appel et capacité.

« Fais-toi capacité, je me ferai torrent », entendait Thérèse d’Avila.

La présence elle-même comporte une part d’absence ; elle n’est jamais totale, évidente, parfaite. Supporter la face nocturne de la présence permet de mieux en goûter la face lumineuse. Celui qui a été capable d’attente sera capable d’attention.

Nous oscillons donc sans cesse entre une définition négative et une définition positive de la solitude, entre ce que nous appellerons la solitude-vide et la solitude-plénitude. Au demeurant, ce n’est pas de ma solitude « seulement » dont il est question ; celle de l’autre est tout aussi importante. Sa solitude est en même temps sa liberté. Alors la solitude peut trouver sens, qu’elle soit séparation volontaire ou épreuve subie. Elle sera même souvent une occasion de devenir ‘ce monde à offrir à l’autre’. Assumer la solitude, c’est s’ouvrir à toutes les dimensions de l’amour et notamment aux plus authentiques, celles qui commencent au-delà du manque. C’est apprendre à conjuguer amour et liberté, deux termes qui, contrairement aux idées reçues, ne vont pas immédiatement ou facilement de pair.

Père Emmanuel Deluëgue