Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés.

15 novembre 2019

Ce verset du psaume est le refrain d’un très beau chant de communion qui peut être chanté sur une mélodie de Lucien Deiss (compositeur liturgique - 1921 -2007) ou sur une mélodie du monastère de Sylvanès.

« Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés. » Ce verset évoque aussi pour moi la prière du benedicite des moines bénédictins avant leur repas du soir. J’ai l’image de ces moines qui se tiennent debout, alignés le long des tables, les mains sous leur scapulaire, humbles et recueillis. En psalmodiant, ils rendent grâce à Dieu pour la nourriture terrestre qu’ils vont recevoir des mains de leur frère cuisinier et des frères qui vont les servir.
Cette nourriture est tout autant le don de Dieu qui « ouvre sa main pour rassasier avec bonté tout ce qui vit » (Ps 144, 16) que le fruit de leur travail. En effet, les frères doivent consacrer certaines heures au travail des mains et d’autres à la lecture des choses divines. (Règle de St Benoit chapitre 38)
Tout au long de leur repas, alors que la nourriture du corps passe par leurs mains et par leur bouche, une autre nourriture leur est donnée : la lecture qui ne doit jamais manquer à la table des frères. Règle ch. 38
Plus tôt dans la journée, les mêmes moines se sont retrouvés à l’église pour célébrer la sainte eucharistie : « Heureux les invités au repas du Seigneur. » Toute leur vie est consacrée à Dieu et centrée sur la personne de Jésus. Il a dit « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6, 35) Puis, lors des Vêpres, les moines ont chanté le Magnificat (cantique d’action de grâces de la Vierge Marie) : « le Seigneur comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. » (Lc 1, 53)

Et nous ? Quel est notre rapport à la nourriture ? au travail ? à notre Père du Ciel ?
Recevons-nous la nourriture comme des pauvres qui savent qu’elle est don de Dieu qui «  ouvre la main et remplit tout être vivant de sa bénédiction » (Ps 144) avant d’être le fruit de notre travail dont nous serions tentés de jouir de manière égoïste ? Notre repas est-il eucharistique ? C’est-à-dire action de grâce, remerciement d’avoir un travail, d’avoir pu l’accomplir paisiblement au long du jour et des années.
Notre façon de faire passer la nourriture à travers nos mains et notre bouche est-elle unifiée avec les besoins de notre âme, de notre esprit et de notre cœur ? Mangeons nous dans la joie et la sérénité ?
Pouvons-nous vivre un vrai partage autour de la table familiale ? Savons-nous inviter quelqu’un d’inconnu à notre table ? Aujourd’hui, le danger est grand de vivre ce moment dans la solitude et la passivité augmentées par les écrans qui tuent l’échange entre les convives. Même dans l’abondance d’une table copieuse, nous sommes alors seuls et finalement pauvres dans la relation.
Enfin, savons-nous rendre grâce à Dieu avant le repas et dire, comme les moines, au futur : Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ? c’est-à-dire être confiants – aujourd’hui et demain – dans la grâce de Dieu.

Dans l’Evangile, certains auraient bien voulu travailler mais ils ne le pouvaient pas : à la onzième heure du jour, ils sont encore oisifs parce que personne ne les embauchés (Cf ; Mt 20, 7). Ne mettons pas leur oisiveté sur le compte de la paresse même si Saint Paul nous rappelle cette règle fondamentale de la vie des enfants de Dieu : "si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus." (2 Th 3, 10) Autour de nous, il y a des hommes et des femmes qui veulent travailler mais personne ne les embauche. Il y a aussi ceux qui sont tellement blessés par la vie, fatigués ou malades qu’ils ne peuvent pas gagner leur pain. Pour les aider à sortir de cette impasse, travaillons à leur donner du pain et cette autre nourriture : "Travaillez donc non pas pour la nourriture qui se perd, mais pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle." (Jn 6, 27)

En ce dimanche qui est la Journée Mondiale des Pauvres, nous sommes heureux de pouvoir offrir – à midi – un repas du partage à ceux qui sont seuls, dans une situation précaire ou bien dans la solitude. Il ne s’agit pas tant de mettre de la nourriture dans leurs mains et dans leur bouche. Il s’agit de les accueillir, de faire connaissance, de recevoir d’eux une bonne histoire ou une leçon de vie… Il s’agit tout simplement d’être humain, de partager… afin de louer le Seigneur et de Lui rendre gloire. C’est la suite du verset du psaume :
« Les pauvres mangeront : ils seront rassasiés ; ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent : ‘A vous, toujours, la vie et la joie !’ »

Père Michel BERGER