« Faisant ici mémoire... »

6 juillet 2019

En célébrant chaque année la fête des 32 bienheureuses Martyres d’Orange, nous faisons mémoire d’une page glorieuse de notre histoire sainte. Nous rappelons leur baptême, leur éducation dans la foi catholique, leur engagement dans la vie religieuse, dans leurs couvents respectifs puis dans des maisons familiales, leur détermination à ne pas trahir la consécration de leur vie à Notre Seigneur Jésus-Christ. « J’ai fait serment à Dieu, je n’en prêterai pas d’autre », disait la bienheureuse Sœur de l’Annonciation, née Thérèse FAURIE.

Plus près de nous dans le temps, le Concile Vatican II, dans son décret sur la liberté religieuse nous enseigne que la norme suprême de la vie humaine est la loi divine elle-même, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu, dans son dessein de sagesse et d’amour, règle, dirige et gouverne le monde entier, ainsi que les voies de la communauté humaine. De cette loi qui est sienne, Dieu rend l’homme participant de telle sorte que, par une heureuse disposition de la Providence divine, celui-ci puisse toujours davantage accéder à l’immuable vérité. C’est pourquoi chacun a le devoir et, par conséquent le droit, de chercher la vérité en matière religieuse, afin de se former prudemment un jugement de conscience droit et vrai, en employant les moyens appropriés. (Dignitatis Humanae n°3)

« Là où est l’Esprit…, là est la liberté » (2 Co 3, 17). Dans son discours aux Bernardins, le 13 septembre 2008, le pape Benoit XVI rappelait que la tension entre le lien de l’intelligence et de l’amour d’une part et la liberté d’autre part (…) a profondément modelé la culture occidentale. Cette tension se présente à nouveau à notre génération comme un défi face aux deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, et de l’autre, le fanatisme fondamentaliste. Si la culture européenne d’aujourd’hui comprenait désormais la liberté comme l’absence totale de liens, cela serait fatal et favoriserait inévitablement le fanatisme et l’arbitraire. L’absence de liens et l’arbitraire ne sont pas la liberté, mais sa destruction.

A bien y regarder, même si les bienheureuses remerciaient les juges de leur « procurer le bonheur d’aller se réunir aux saints anges », nous ne pouvons pas nous souvenir de leur triomphe sans faire mémoire du versant douloureux de leur martyre : les jugements, condamnations et exécutions qui eurent lieu du 19 juin au 4 août 1794 furent des heures de grande violence et d’extrême injustice. Il est choquant que tant de personnes aient été privées de la vie, que tant de personnes aient subi la peine de mort. Nous ne pouvons pas arracher ces pages du livre de notre histoire parce qu’elles seraient sombres et honteuses : à Orange, comme nulle part ailleurs dans le quart Sud-Est de la France, en quelques semaines, la Commission populaire de la Terreur a fait couler le sang de 332 personnes.

En cette année 2019 qui marque le 225e anniversaire de ces évènements douloureux, il ne nous suffit pas d’honorer celles qui ont été glorifiées par l’Eglise. Nous voulons aussi faire mémoire des autres suppliciés défunts ; dans la foi, nous prions pour le repos de leurs âmes. Nous nous rappelons aussi que ces exécutions ont touché des familles qui portent encore aujourd’hui dans leur mémoire la blessure de cette injustice : pour elles aussi et pour les descendants des victimes, nous prions.

Aujourd’hui, faire mémoire de tous ces évènements nous invite aussi à relire nos vies : ce qui nous vient le plus vite à l’esprit, c’est ce dont nous souffrons, les injustices sourdes et latentes que nous pouvons subir. Nous déplorons et dénonçons aussi toutes les souffrances et injustices dont nous sommes témoins autour de nous ; dans la mesure de nos forces, nous y répondons en aidant les pauvres, en visitant les malades, en défendant toute vie humaine, en œuvrant pour le respect des droits de nos frères…
Prenons aussi le temps de nous interroger sur les injustices dont nous sommes, par action ou par omission, plus ou moins volontairement, les acteurs. Pour le mal commis, pour les conséquences de nos choix et pour les blessures que nous avons causées, nous pouvons demander pardon et apporter réparation, aujourd’hui.

Faisons donc ici mémoire… en prenant la résolution de vivre davantage dans la justice et dans la vérité de notre condition humaine, nous qui sommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, défigurés par le péché mais sauvés et rachetés par le Sang Très Précieux de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Père Michel BERGER